La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 23 avril 2024

Son baiser me pique le cœur, et comme le miel nouveau il fait perdre la tête.

 


Longus, Daphnis et Chloé, parution originale entre le milieu du IIe et le milieu du IIIe siècle, traduit du grec par Romain Brethes.

 

Au début de l’histoire, un berger trouve un bébé allaité par une chèvre et décide de l’élever comme son fils, Daphnis. Et un autre berger trouve une bébé allaitée par une brebis et décide de l’élever comme sa fille, Chloé. C’est l’histoire de Daphnis et Chloé.

(Je peux vous dire qu’on n’a pas attendu le XIXe siècle pour relever le défi du roman sur rien, car ces deux-là s’aiment au début et à la fin et rien ne les sépare.)

Ils sont purs et innocents (contrairement au lecteur) et ils ignorent tout de l’Amour (contrairement à…), qu’il s’agisse du sentiment, car même s’ils éprouvent un attachement plus fort chaque jour l’un pour l’autre, ils n’ont lu aucun roman ou poésie élégiaque (contrairement à la lectrice), encore que Daphnis maîtrise bien les récits mythologiques, ou qu’il s’agisse du volet physique de l’affaire (contrairement à qui vous savez), car, à l'inverse de ce que l’on peut penser, l’exemple des chèvres et des boucs n’est pas totalement probant.


Chloé n’attendit pas davantage. Elle avait été séduite par ce compliment, certes, mais elle désirait embrasser Daphnis depuis si longtemps qu’elle bondit pour lui donner un baiser – un baiser de novice, un baiser sans artifice, mais tout à fait suffisant pour enflammer une âme. (…) Daphnis, lui, semblait avoir reçu une morsure plutôt qu’un baiser, et il offrit très vite un visage morose : il frissonnait souvent, essayait de réfréner son cœur qui s’emballait, et ne voulait pas regarder Chloré, car lorsqu’il la regardait, il rougissait.


Tout l’enjeu du roman consiste donc à raconter comment Daphnis et Chloé qui s’aiment depuis toujours sans le savoir réussiront à découvrir l’Amour. Le second enjeu repose entièrement sur le décalage entre nos héros et le lecteur, qui est invité à sourire malicieusement devant leur ignorance et à aimer ces êtres si innocents. Rien n’empêche le lecteur de rêver également à un supposé paradis perdu et à une ignorance qui a l'air si douce et aimable.

Vous me direz que tout cela est bien mince et vous vous tromperez lourdement. Le roman se lit avec grand plaisir, car, malgré tout, les rebondissements ne manquent pas. Des pirates et des imbéciles montrent quand même leur bout de nez. Toutefois, le grand rôle est tenu par les chèvres et les brebis (et aussi les vaches) – c’est pastoral, vous dit-on – ainsi que par la syrinx, c’est-à-dire la flûte de Pan dont le son résonne à toutes les pages.

 

On aurait dit une symphonie de flûtes qui jouaient de concert, tant la syrinx résonnait. Peu à peu, il joua avec moins d’ardeur et souffla une mélodie plus douce. Philétas déployait là toutes les facettes de la musique pastorale, en jouant l’air qui convenait à un troupeau de bœufs, celui qui entraînait un troupeau de chèvres, celui qui faisait les délices d’un troupeau de moutons. L’air était doux pour les moutons, prononcé pour les bœufs, perçant pour les chèvres. Et un mot, une seule syrinx imitait là toutes les syrinx qui existaient.


Pan, marbre, 2e siècle ap. J-C, Musée du Capitole




Ce roman fait partie de l’énorme gros volume de Romans grecs et latins édité par les Belles Lettres. J’ai déjà lu :

Callirhoé de Chariton dont je garde un bon souvenir, de roman romanesque d’aventure et d’amour.

Les Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse, oubliable à mon avis.

Le Satiricon de Pétrone, mais oui, un classique à lire.

Leucippé et Clitophon ( ???) d’Achille Tatius dont je n’ai aucun souvenir. Et d'ailleurs je n'ai même pas rédigé de billet.

L'Âne d'or d'Apulée : un chef d'oeuvre


Et il me reste encore un roman ! Affaire à suivre.



 


 


 


samedi 20 avril 2024

Jésus et les petits moutons

 


Le blog est dans une série iconographique sur Jésus adulte. Aujourd’hui, Jésus et les moutons.

Plus sérieusement...

Tout d’abord, le bon pasteur.

C’est par cette expression que Jésus s’identifie lui-même : celui qui guide vers le salut, rassemble le troupeau, retrouve la brebis égaré… Un homme portant une brebis sur les épaules ou un agneau dans les bras.

Une imagerie très présente dès l’Antiquité, qui donne l’impression d’un dieu humain, proche des gens simples, doux et protecteur.

Par ailleurs, l’agneau est un animal traditionnellement promis au sacrifice et Jésus est désigné ainsi par Jean-Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Une parole reprise dans plusieurs chansons, prières et messes chrétiennes. Le thème de l’agneau de Dieu constitue une annonce du sacrifice à venir au moment de la Crucifixion.

Je regroupe (artificiellement) les deux thématiques, car reconnaissons-le, les ovins sont très présents dans le monde chrétien.



On commence par le choeur de l'église Santa Maria in Trastevere à Rome, déjà parce que c'est beau toutes ces mosaïques (du XIIe siècle), qui donnent une impression de mystère à l'édifice.


Alors que Jésus siège, hiératique entre sa mère, des saints, des évêques. Sous leurs pieds, une file de petits moutons en procession rappelle la fonction de gardien que se donnent Jésus et le clergé catholique.
Il y a un billet sur le quartier du Trastevere si vous voulez revenir à Rome (au passage).


On retrouve les moutons détail du choeur de Santa Cecilia in Trastevere qui en est très proche.

Notez que ces mosaïques sont anticipantes puisqu'elles imitent à la fois les oeuvres byzantines et celles de l'Antiquité tardive (on pense notamment à celles de Ravenne).



Le fameux Agnus Dei de Francisco de Zurbarán (1639, Madrid Academia Bellas artes San Fernando, mais il en existe plusieurs versions). Un magnifique tableau de dévotion où l'agneau, pattes liées, attend l'heure de sa mise à mort, victime expiatoire sans défense.

C'est un magnifique camaïeu de bruns, du plus clair au plus sombre. L'excellence même de la peinture espagnole.



Et ça ? C'est l'extraordinaire retable de l'Agneau mystique des frères Van Eyck (1432, cathédrale de Gand). En toute objectivité, un chef d'oeuvre de la peinture de la Renaissance représentant précisément l'adoration de l'Agneau de Dieu. Sur le panneau central inférieur, on voit l'agneau debout sur un autel, à la fois lieu de la messe, de la consécration et du sacrifice. Il est entouré d'anges et d'une foule d'hommes et de femmes variés, venus en masse et représentés avec un luxe de détails inouï.

Une oeuvre dont le réalisme a dû sauter aux yeux des spectateurs de l'époque. Combien ont-ils dû détailler les petites fleurs, les livres de prière, les détails des vêtements et des coiffures, et les architectures à l'arrière-plan. Le tout baigne dans une lumière claire et égale, pas d'ombre portée, pas d'effets dramatiquues, l'évidence du monde sous les yeux.



Le retable a sa page Wikipedia dédiée bien sûr.


Les semaines précédentes : Baptême de Jésus ; Jésus soumis à la tentation ; enseignement et miracles de guérison ; miracles aquatiques ; le repas chez Simon.


La semaine prochaine, ce seront des allégories plus glorieuses.

 


jeudi 18 avril 2024

Il s’appelait Norbert Lacassagne, il avait trente ans et se croyait du Nord parce qu’il était de Valence.

 


Marcel Pagnol, Les Pestiférés, 1962.

 

C’est un petit groupe d’habitants qui vit dans ce qui est alors – au début du XVIIIe siècle – à l’extérieur de Marseille, un noyau villageois, comme on dit, composé du médecin, du notaire, du boulanger, etc. Un soir, au début de l’été, le médecin réunit tout le monde : il semble que la peste soit en ville. On raconte des histoires épouvantables, de cadavres dans les rues, de galériens les ramassant sur une charrette, etc.

Notre petite société s’organise pour tout à la fois s’isoler du reste du monde, réunir des vivres pour tenir le coup, et faire croire aux voisins qu’ils sont tous morts, pour ne pas être embêtés. Jusqu’au jour où une nouvelle inquiétante les oblige à prendre une décision radicale…

Les textes de fiction mettant en scène la peste de 1720 ne sont pas si nombreux. Pagnol donne un point de vue périphérique, puisque, de tous les personnages, seul le médecin a réellement vu la peste. À cet égard, ce Maître Pancrace apparaît comme ces figures de sachant et de meneur d’hommes, héritier des personnages de Jules Verne. Les événements les plus atroces ne sont ici que des rumeurs et semblent à peine croyables ou crédibles. Le récit de l’épouvantable pandémie prend l’allure d’un récit de confinement, avec ses stocks de nourriture, ses adultères, son ennui, voire celui d’une farce grotesque – où l’on se déguise en cadavres pour faire peur aux soldats.

J’ai bien aimé la peinture de cette société en miniature, qui n’est pas sans faire penser à une crèche, même si seuls les hommes et la bonne du médecin ont un nom, les autres n’étant que « les femmes et les enfants ». C’est dommage parce que Pagnol a un vrai talent pour inventer des noms propres et croquer une figure en quelques mots.

C’est une longue nouvelle, un petit roman, à l’origine récit rapporté faisant partie du Temps des amours, mais devenu indépendant.

C’est un texte laissé inachevé par la mort de l’auteur. En l’état actuel des choses, la fin semble ouverte à l’espoir. Toutefois, Nicolas Pagnol (petit-fils de) a dirigé la publication d’une adaptation en bande dessinée (de Samuel Wambre, Serge Scotto et Éric Stoffel), dans laquelle la fin reprend celle que l’auteur avait raconté à ses proches avant de mourir. Elle est beaucoup plus sombre.

 

À côté de ces notables, il y avait quelques petits commerçants, comme Romuald le boucher, gros et rouge comme il convient, mais presque stupide quand il n’avait pas un couteau à la main ; Arsène, le mercier-regrattier, qui était tout petit, et Félicien, le boulanger, dont les brioches cloutées d’amandes rôties étaient fameuses jusqu’au Vieux-Port. Malgré ses trente-cinq ans, il plaisait encore aux femmes, parce qu’il avait la peau très blanche – peut-être à cause de la farine – et la poitrine velue de poils dorés. Il y avait aussi Pampette, le poissonnier ; Ribard, le menuisier boiteux ; Calixte, qui travaillait à l’arsenal des galères.

Photo prise à 15 min de chez moi.
 

Une lecture commune autour de Pagnol organisée par Et si on bouquinait.

Et si on bouquinait a lu Jean de Florette. Miriam a également lu Les Pestiférés.


J'ai commis un fort long article sur la peste de 1720, avec archives et peintures. Notez qu'il est abondamment question du Vinaigre des Quatre Voleurs dans le roman. Et mardi, un livre d'archives et de chroniques contemporaines des événements (Frédéric Jacquin, Marseille, malade de la peste).

 



 

mardi 16 avril 2024

Journal historique de ce qui s'est passé dans la ville de Marseille et son terroir à l'occasion de la peste depuis le mois de mai 1720 jusqu'en 1723.

 


Frédéric Jacquin, Marseille malade de la peste 1720-1723, 2023 aux PUF.

 

L’histoire est connue. Encore que.

Jacquin publie ici deux textes qui ont été rédigés a posteriori par deux contemporains des événements, le religieux Paul Giraud et le négociant Pierre-Honoré Roux. Leur lecture est saisissante. Si l’on trouve ici les morceaux connus, la lecture de la chronique jour par jour est éprouvante (oui, on peut mal dormir). Je note, parmi les originalités de ces récits, tout d’abord la chronologie puisque nos auteurs traitent également de la rechute de la peste en 1722 et vont jusqu’à sa fin déclarée en 1723, et la géographie ensuite, puisque tous deux parlent de la façon dont l’épidémie se répand dans ce qui est alors le « terroir » (aujourd’hui, les quartiers excentrés de Marseille) et dans la Provence, sans se cantonner aux rues jonchées de cadavres.


Le 26 juillet 1720.

Ils supprimèrent la procession de la Ste Vierge du Carmel, appréhendant que des gens pestiférés ne se jetassent dans la foule. Il ne s’agissait donc plus que d’ouvrir les yeux au peuple, mais on ne jugea jamais à propos de publier la peste et de dire, ouvertement : sauve qui pourra. Ce trop grand ménagement fut dans la suite très pernicieux et causa la perte d’un nombre infini de personnes.


Les deux textes mettent l’accent sur les efforts ininterrompus des échevins (alors que tous les « gentilshommes » se sont rapidement enfouis) (et que certains ordres religieux se sont soigneusement enfermés) (mais pas tous) pour rassembler les cadavres, ouvrir des hôpitaux, approvisionner la ville qui a presque été autant menacée par la famine que par la maladie, faire régner un semblant d’ordre public, alors même que toute l’administration était soit morte soit enfuie (tout comme les commerçants).


Le 28 juillet 1720.

Les uns l’appelaient peste, les autres lui donnaient un autre nom. Cette variété d’opinions suspendait toujours plus les esprits entre la crainte et l’espérance, à mesure que toutes les affaires cessaient, que le commerce s’interdisait d’un jour à l’autre. On ne s’entretenait plus que de la maladie. Toutes les conversations ne roulaient que là-dessus. C’était la gazette du temps. Chacun était attentif à tout ce qui se passait. Au bout du compte, on s’étourdissait et on ne savait à quoi s’en tenir.


Je note un fort effet de lecture. S’il n’y avait pas eu la pandémie de covid-19, nous lirions la plupart de ces pages en nous disant : « Oh la la, ces gens du XVIIIe, ils ne sont pas rationnels, pas organisés, pas efficaces, etc. » Sauf que nous avons vécu ces semaines de février 2020 où l’Italie était cruellement touchée par la maladie et où nous l’avons regardée, en attendant que les morts envahissent les morgues et où les hôpitaux débordent pour réagir plus intelligemment qu’en fermant la frontière, nous avons vécu ces décisions arbitraires et autoritaires (en 1720 aussi, la maladie a permis au pouvoir central de mettre en place des pouvoirs de police exceptionnels), ces discussions absconses pour savoir si une librairie était plus essentielle qu’un fleuriste (et si l’on avait suivi le représentant du Régent et du Roi à Marseille, je crois qu’on aurait interdit toutes les messes), nous avons vécu la difficile décontamination. Il y a beaucoup de choses qui n’ont pas tellement changé.

C’est un exemple concret où les conditions de lecture ont un impact direct sur la compréhension d’un texte et sur l’appréhension d’un témoignage. Un cas intéressant pour les historiens.


Le 31 juillet 1720.

Le même jour, la chambre des vacations du Parlement d’Aix fit arrêt, déclara la ville de Marseille suspecte, défendit sous peine de la vie à tous ses habitants de passer au-delà des limites de leur terroir et à tous ses habitants de passer au-delà des limites de leur terroir et à tous les habitants des villes, bourgs, villages et autres lieux de Provence d’y venir et de communiquer avec eux sous quel prétexte que ce fut.


Il y a le récit des quartiers bouclés, des interdictions de circuler, des distributions de nourriture, la lenteur de la prise de conscience initiale, les étrangers bloqués sans pouvoir rentrer chez eux, la ville coupée du monde pendant des mois, les curés qui disent la messe sur le parvis des églises, le silence de la ville quand tout s’arrête (les cloches, le commerce, les navires, les métiers), le retour des blanchisseuses après le pic des morts, le chômage.

C’est loin de se lire comme un roman, mais c’est instructif.

 

Le 25 (août), il ne fut plus question de dissimuler et de s’étourdir sur la nature du mal. Les esprits forts furent consternés comme les plus faibles. La terreur et l’épouvante saisirent tout le monde ; ce n’était plus que des jours deuil, de larmes, de tristesse et d’angoisse. Ces jours d’ennui et de l’alarmes étaient toujours trop longues et les nuits ne portaient que l’horreur et la crainte. On ne pouvait plus enlever journellement les cadavres parce que la plupart des corbeaux (noms des gens qui enlèvent les corps) étaient morts ou mourants.

 

Le 29 (août), quel qu’effort que l’on ait fait le jour précédent pour enlever tous les corps morts qui s’étaient trouvés dans les rues, il en était resté un grand nombre dans les maisons. Il mourut plus de mille personnes pendant la nuit. À la pointe du jour, toutes les rues en furent couvertes. (…) Les vapeurs malignes qui sortaient des maisons où il y avait des cadavres pourris, celles qui s’élevaient de toutes les rues pleines de matelas, de couvertures, de linges, de haillons et toute sorte d’ordures qui croupissaient depuis quelque temps, l’odeur puante et cadavéreuse des morts et des malades qui remplissaient le pavé, donné lieu d’appréhender que l’air même ne devint contagieux.

Proclamation à l'occasion de la Saint-Roch, août 1720.
 

Le 15 janvier 1721.

Comme chaque jour était marqué de quelque nouvelle ordonnance, il y avait presque autant de variation dans le gouvernement que dans la maladie.

(ça on connaît)

 

Quoique les ouvriers fussent déjà en grand nombre, ils changeaient pourtant les habitants, ils se faisaient surpayer. Les maçons gagnaient un écu par jour, les manœuvres vingt-cinq sols. Les paysans en gagnaient tout autant à bêcher la terre. La cherté étonnante de toutes les denrées et de toute sorte de marchandise causait en partie ce dérangement.

Fin du journal de la peste.

 

À l'occasion d'une exposition d'archives et de peintures, j'ai commis un grand article sur le sujet.

Jeudi il sera encore question de la peste.



 

samedi 13 avril 2024

À table avec Jésus

 


Nous sommes dans une série iconographique sur la vie de Jésus adulte. Aujourd’hui, des récits de table (on mange beaucoup dans la Bible).

 

Il y a tout d’abord les Noces de Cana où Jésus change l’eau en vin et d’ailleurs ce serait son premier miracle. Mais je n’ai photographié aucune oeuvre illustrant l’épisode (la peinture la plus célèbre est située en face de la Joconde, bien sûr).

 

Le Repas chez Simon, appelé aussi l’Onction à Béthanie

L'épisode est le suivant : Jésus est invité à la table d’un pharisien Simon. Une femme pécheresse apprend qu’il est présent.

Ayant appris qu’il était à table chez le pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Se plaçant alors en arrière, tout en pleurs, à ses pieds, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; puis elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfum. À cette vue, le pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : « si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse ! »

(blabla de Jésus avec une parabole)

Jésus dit à la femme : « Tes péchés seront remis ». Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : « Quel est cet homme qui va jusqu’à remettre les péchés ? » Mais il dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix ».

Il est tentant d’identifier la femme pécheresse avec « LA » pécheresse, c’est-à-dire Marie-Madeleine, mais certains penchent aussi pour Marie de Béthanie (la sœur de Marthe et Lazare).


Là où c’est un peu perturbant est que le Lavement des pieds est aussi l’acte accompli par Jésus, lavant les pieds des apôtres, avant de s’attabler pour la Cène (on se situe donc le jeudi saint). C’est un geste honorifique dans l’antiquité gréco-romaine-proche-orientale (il y a plein de références sur la page Wikipedia), qui fait toujours partie des rites du monde chrétien.

 

Ces trois appellations créent un peu de confusion.

L’ensemble est propice à la représentation d’immenses tablées, avec des convives, des serviteurs, des chiens, des curieux, des trucs et des machins, un régal de peinture.


Nous commençons donc avec le boss du jour : Véronèse.



Véronèse, Le Repas chez Simon, 1570, Brera, 7 mètres de long et 2,75 mètres de haut. La scène principale est reléguée sur le côté gauche, vers lequel se tournent tous les regards - ce décentrement est plutôt habile pour introduire du mouvement. Les visages et les attitudes traduisent la curiosité, l'incrédulité, la réprobation (on les imagine bien avec leur téléphone pour filmer la scène). Il y a une scène symétrique à droite, mais j'ai du mal à comprendre de quoi il s'agit. Le repas a lieu dans un palais à l'antique, dans une architecture palladienne, avec colonnes de marbre, dallage, petite arcade au fond du jardin. Bien sûr, l'oeil se perd dans les détails. Les serviteurs, qui sont des enfants, noirs et blancs, devant la table. Je m'interroge sur les proportions, car Jésus et la pécheresse me semblent petits par rapport aux autres figures.

Malgré la profusion, la toile respire une certaine austérité - accumulation de ces visages sévères ?




 

Véronèse, Le Repas dans la maison de Simon, 1555, Turin, 3 x 4,5 mètres, et c'est nettement plus animé, en partie grâce à ce format presque carré, qui permet une accumulation de figures. Jésus a plus l'allure d'un pacha que d'un modeste prophète et la pécheresse est somptueuse. Il y a un perroquet, un vase qui va tomber du plateau, des serviteurs noirs, des chiens, des couleurs...

Sur le côté gauche, il y a un palais en construction et des gens dont je ne sais pas trop ce qu'ils font.





Une pièce en albâtre, peinte, fabriquée en Angleterre au 15e siècle, conservé à Lille. L'objet est particulièrement beau. D'un point de vue iconographique, on voit bien une contamination entre le thème du "repas chez Simon" et celui de la Cène. Si les chiens apportent une présence familière et sympathique, les os ne sont pas sans faire penser à ceux du Golgotha.
En tout cas, la rangée de petits petons sous la table est très réussie.

Une peinture anonyme française du XVe siècle (conservée à Lille). Le repas se tient dans une demeure bourgeoise : tenture et cuir au mur, lustre, horloge, vitre à la fenêtre. Le décor fait penser aux peintures de Van Eyck.

Simon et son entourage sont vêtus de vêtements de couleurs vives, de fourrures et de beaux chapeaux, même si le repas est très simple (là encore, cette table annonce celle de la Cène).

Il n'y a aucune femme à table - il n'y en a pas beaucoup chez Véronèse non plus, même si la présence des servantes brouille un peu le regard. Les peintures de Véronèse sont destinées à orner les réfectoires de monastères et il n'y a pas de femme à table. Chez ce peintre anonyme, on voit bien que dans une maison comme il faut, les femmes ne s'attablent pas avec les hommes.

La pécheresse est quasiment allongée sur le sol : alors que les autres hommes semblent s'essuyer les pieds sur son dos elle embrasse dévotement le pied de Jésus, Jésus très sobrement vêtu d'une tunique noire.


Un vitrail de 1250, provenant du couvent des Madelonnettes de Hagueneau (conservé à Lille). Au Moyen Âge, on accepte la présence d'une dame à table ! Et les plats regorgent de poissons ! Les couleurs de ce vitrail sont magnifiques et intenses. Et le dessin de la nappe, des plats et des visages est très réussi.


Les épisodes précédents : Baptême de Jésus ; Jésus soumis à la tentation ; enseignement et miracles de guérison ; miracles aquatiques

La semaine prochaine sera plus allégorique.